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Direction de la Langue Française

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L'orthographe au cours du temps : un exemple avec Corneille

Les rectifications de 1990 concernent deux-mille mots, mais certains d’un usage très peu répandu. Qui utilise enfaiteau, enjaveler, épanneler ? On peut considérer que seulement huit-cents sont largement connus. Dans un livre, il n’y a de changement que pour un mot par page.. Et un changement mineur ! Si on lit je feuillète au lieu de je feuillette, huit-cents au lieu de huit cents, un sèche cheveu  au lieu de un sèche-cheveux, à qui fera-t-on croire que cela pose un problème de compréhension ?

Lorsqu’avant le milieu du 19e, l’orthographe française a fait l’objet de réformes bien plus importantes que celle-ci, les éditeurs réimprimaient les livres dont ils avaient la vente, une fois le stock épuisé, en adoptant l’orthographe du moment.

Quand Corneille dédie sa tragédie Andromède à sa bienfaitrice, c’est ainsi qu’il écrit, dans l’édition de 1651 :


C’est vous rendre un hommage bien secret, que de vous le rendre ainsi, & ie m’asseure que vous aurez de la peine vous-mesme à recognoistre que c’est vous à qui ie dedie cet Ouvrage. Ces quatre lettres hiéroglifiques vous embarasseront aussi-bien que les autres, et vous ne vous apperceurez iamais qu’elles parlent de vous iusqu’à ce que ie vous les explique. Alors vous m’auouerez sans doute que ie suis fort exact à ma parole, et fort punctuel à l’execution de vos commandemenz. [ …] C’est peut-estre vous en dire trop pour un homme qui se veut cacher quelque temps à vous-mesme [ …] Laissez-moy la ioye de vous surprendre par la confidence que je vous en doibs [ …] [Je] ne vous dy point en quoy les belles qualitez d’Andromède approchent de vos perfections, ny quel rapport ses aduantures ont avec les vôtres.

Non pas que le tragédien ou son éditeur ait eu des problèmes avec l’orthographe, mais parce que les normes d’alors étaient sensiblement différentes des nôtres. Quand Andromède est republié un siècle plus tard, en 1774, la dédicace prend cette forme :

C’est vous rendre un hommage bien secret, que de vous le rendre ainsi, & je m’assure que vous aurez de la peine vous-même à reconnaitre que c’est vous à qui je dédie cet ouvrage. Ces quatre lettres hiéroglifiques vous embarrasseront aussi-bien que les autres, et vous ne vous apercevrez jamais qu’elles parlent de vous jusqu’à ce que je vous les explique. Alors vous m’avouerez sans doute que je suis fort exact à ma parole, et fort ponctuel à l’exécution de vos commandemens [ …] C’est peut-être vous en dire trop pour un homme qui se veut cacher quelque tems à vous-même […] Laissez-moi la joye de vous surprendre par la confidence que je vous en dois [C’est vous rendre un hommage bien secret, que de vous le rendre ainsi, & je m’assure que vous aurez de la peine vous-même à reconnaitre que c’est vous à qui je dédie cet ouvrage. Ces quatre lettres hiéroglifiques vous embarrasseront aussi-bien que les autres, et vous ne vous apercevrez jamais qu’elles parlent de vous jusqu’à ce que je vous les explique. Alors vous m’avouerez sans doute que je suis fort exact à ma parole, et fort ponctuel à l’exécution de vos commandemens […] C’est peut-être vous en dire trop pour un homme qui se veut cacher quelque tems à vous-même […] Laissez-moi la joye de vous surprendre par la confidence que je vous en dois […] [Je] ne vous dis point en quoi les belles qualités d’Andromède aprochent de vos perfections, ni quel raport ses avantures ont avec les vôtres.

L’orthographe de l’édition Hachette de 1862 se rapproche sensiblement de la nôtre, tout en ne s’y identifiant pas : dans cet extrait, la seule différence concerne reconnoître (qui rime ailleurs avec maître) ; mais plus loin, on rencontre aussi  foible,  desir, desiré, poete, je voi,  les terminaisons verbales en –oi (revenoit, seroit, suivoient…) là où maintenant, nous écrivons –ai, etc.

C’est vous rendre un hommage bien secret, que de vous le rendre ainsi, et je m’assure que vous aurez de la peine vous-même à reconnoître que c’est vous à qui je dédie cet ouvrage. Ces quatre lettres hiéroglyphiques vous embarrasseront aussi bien que les autres, et vous ne vous apercevrez jamais qu’elles parlent de vous jusqu’à ce que je vous les explique. Alors vous m’avouerez sans doute que je suis fort exact à ma parole, et fort ponctuel à l’exécution de vos commandements [ …] C’est peut-être vous en dire trop pour un homme qui se veut cacher quelque temps à vous-même [ …] Laissez-moi la joie de vous surprendre par la confidence que je vous en dois [ …] [Je] ne vous dis point en quoi les belles qualités d’Andromède approchent de vos perfections, ni quel rapport ses aventures ont avec les vôtres.

Si, sur www.gallica.fr,vous consultez différentes éditions, d’époques différentes, d’une même œuvre, vous pourrez faire à chaque fois de semblables constatations.